Le Préjudice moral et l'erreur de diagnostics des échographies prénatales

05/12/2021

"Mme C..., dont les échographies prénatales du deuxième et du troisième trimestre ont été réalisées au sein du centre hospitalier de Draguignan, a donné naissance le 6 février 2010 à une fille prénommée Clémence, atteinte de malformations graves des membres inférieurs et supérieurs, qui sont la conséquence de la maladie gestationnelle dite des brides amniotiques et qui n'avaient pas été décelées avant l'accouchement ; 

Que l'enfant a présenté, dès sa naissance, un handicap tenant à une amputation anatomique de son membre inférieur droit et à une amputation digitale de sa main droite ; 

Que ses parents, estimant qu'une erreur de diagnostic avait été commise, ont recherché la responsabilité du centre hospitalier de Draguignan devant le tribunal administratif de Toulon qui, après avoir ordonné, par jugement avant dire droit du 20 décembre 2011, la désignation d'un expert a, par le jugement attaqué, condamné le centre hospitalier de Draguignan à verser la somme de 15 000 euros à M. et Mme C... au titre de leur préjudice propre et rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. et Mme C... au nom de leur enfant mineur.

Qu'il résulte de l'examen des documents établis à l'occasion de chacune des deux échographies réalisées au sein du centre hospitalier de Draguignan, le 20 octobre 2009, au cours du deuxième trimestre de grossesse, et le 29 décembre 2009, au cours du troisième trimestre de grossesse, que la case " 3 segments ", prévue pour les membres supérieurs et inférieurs, a systématiquement été cochée ; que la case " anomalie " est, pour sa part, restée vierge ; 

Que l'expert désigné par le tribunal a cependant relevé, s'agissant de l'échographie réalisée au deuxième trimestre, que, compte tenu de l'évolution de la maladie, il était certain que le lymphoedème lié à la présence d'une bride amniotique était présent et, compte tenu de la période de réalisation de cet examen, facilement accessible au diagnostic ; 

Qu'il a relevé que si le sillon décrit à la naissance au niveau de la jambe gauche pouvait être survenu postérieurement à cet examen, en revanche, la grave altération de l'imagerie correspondant au lymphoedème de la jambe droite devait être signalée, alors même que la présence de trois " segments " du membre droit pouvait être alléguée ; 

Qu'il a également relevé que le temps consacré à cette échographie apparaissait très réduit, tout en relevant que l'absence du médecin lors des opérations d'expertise ne permettait pas de préciser dans quelle mesure les techniques de mesure de temps figurant sur les documents qui lui étaient soumis devaient être amendées ; que l'expert a également relevé que la mention des trois segments du membre inférieur droit lors de l'échographie du troisième trimestre était très sujette à caution ;

Attendu que si la maladie des brides amniotiques est une maladie rare, et à supposer même que son diagnostic soit, comme le soutient le centre hospitalier, difficile, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des comptes rendus mentionnés ci-dessus, que la réalisation des examens échographiques sur Mme C...aurait présenté des difficultés particulières ; 

Qu'il ressort des constatations opérées par l'expert que la mention de la présence de trois segments du membre inférieur droit sur le document établi à l'issue de l'échographie du 29 décembre 2009 est nécessairement erronée compte tenu de l'agénésie que présentait l'enfant; 

Que l'absence de mention, à l'issue de l'examen réalisé le 20 octobre 2009, de la grave altération de l'imagerie liée au lymphoedème nécessairement présent à cette date n'est pas compatible avec un examen accompli dans les règles de l'art dès lors que l'expert a relevé qu'il était certain que ce lymphoedème était présent et facilement accessible ; 

Que, dès lors, dans les circonstances de l'espèce, l'absence de signalement d'une anomalie facilement accessible d'une part, dans un contexte où l'expert relève que le temps consacré à l'échographie apparaît très réduit, et la mention de la visualisation d'un segment du membre inférieur droit qui était absent d'autre part, ne peuvent résulter que d'insuffisances dans la vérification de la conformité de ce membre du fœtus constitutives d'une faute qui, par son intensité et sa gravité, est caractérisée au sens du troisième alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ; 

Qu'ainsi le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a jugé qu'une faute de cette nature avait été commise alors même que l'échographie constituerait un examen difficile comportant une marge d'erreur dans la détection des malformations du fœtus et l'établissement du diagnostic anténatal ; 

Qe le tribunal a par ailleurs pu, sans entacher son jugement d'une contradiction de motifs, retenir que " le lymphoedème évocateur de la maladie était nécessairement présent et facilement accessible au diagnostic lors de l'échographie du 20 octobre 2009 réalisée au deuxième trimestre " tout en jugeant que " la grave altération de l'imagerie devait donc être signalée et conduire à la mise en œuvre d'échographies complémentaires qui auraient confirmé le diagnostic ", puisqu'ils ont sanctionné là l'absence de détection d'une anomalie pouvant conduire à évoquer la pathologie, diagnostic qu'il aurait fallu confirmer ensuite par des examens complémentaires ;

La Cour a jugé:

Qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au cas d'espèce : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance./ La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. "

Qu'il ne peut être préjugé de l'avis des médecins qui auraient eu à se prononcer sur une éventuelle interruption thérapeutique de grossesse au regard de l'agénésie affectant le membre inférieur de l'enfant ni sur la décision des parents ; 

Que toutefois, le manquement caractérisé relevé ci-dessus a fait obstacle à ce qu'une telle option puisse être seulement envisagée ; que s'il apparaît que la chirurgie fœtale restait très hasardeuse, les mêmes manquements ont également fait obstacle à toute possibilité, pour les parents de Clémence C..., d'être, à tout le moins, informés sur ce point, sur les risques d'une telle option et sur les conditions dans lesquelles elle aurait pu être pratiquée si tant est qu'une telle possibilité eût été ouverte ; 

Qu'en toute hypothèse, la faute caractérisée retenue contre le centre hospitalier a, en l'espèce, nécessairement entraîné une situation de détresse et de souffrance liée au choc de la révélation du handicap lors de la naissance de l'enfant, alors que l'accouchement constitue à la fois un événement heureux mais également un moment de fatigue physique et psychologique qui vient aggraver la révélation du handicap de l'enfant à ce moment-là

Que le manquement reproché au centre hospitalier a fait obstacle à ce que les parents puissent se préparer psychologiquement et matériellement à la naissance de cet enfant et au parcours médical qui s'ensuivrait en faisant appel au besoin à l'assistance de professionnels ; qu'il sera fait une juste appréciation de leur préjudice moral en leur accordant une indemnité de 20 000 euros chacun."

Cour Administrative d'Appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 07/01/2015, 13MA03045